Lors d’une causerie entre personnes éclairées, j’ai de nouveau rencontré des gens qui se réclament de Montessori. Que dalle : ils étaient « Montessori » comme moi je suis curé.
Je rappelle que l’accréditation Montessori est strictement encadrée : il ne suffit pas de prononcer le nom pour être reconnu comme tel. L’accréditation s’obtient en France auprès de l’AMF, est valable trois ans et donne lieu à un document officiel.
Et puis l’ approche Montessori reste cantonnée au privé, tant la structure éducation nationale est frileuse, craintive et encadrée de nos jours par et vers le capitalisme mondialisé. La pression vers le privé est de plus en plus forte et Macron en est le chantre.
Mais cette petite discussion m’a relancé sur la question de l’Éducation nationale publique — ou devrais-je dire, parfois, de « l’éducastration »…
L’école publique, laïque et obligatoire occupe une place presque sacrée dans l’imaginaire national. Elle serait la génitrice de la citoyenneté républicaine moderne, le creuset dans lequel la République forge l’égalité, la raison et la liberté. Ses architectes, au premier rang desquels Jules Ferry, Ribière sont encore aujourd’hui célébrés comme les pères fondateurs de l’identité républicaine.
Mais la posture de Jules suffit à révéler une tension profonde. Consacré après sa mort comme le grand instituteur de la nation, Ferry est aussi le maire de Paris « Ferry-Famine » et « Ferry l’affameur »qui soutient la répression sanglante de la Commune en 1871 et le promoteur acharné de l’expansion coloniale. Ses discours détaillent une hiérarchie assumée des civilisations, justifiant la domination de « races supérieures » sur des « races inférieures ». À la tête du gouvernement, il devra finalement démissionner après la débâcle du Tonkin, conséquence directe de sa politique impériale.
Ces éléments, gommés dans la mémoire collective, rappellent qu’au-delà du récit républicain édifiant, l’école de Ferry naît dans un contexte d’ordre restauré, où l’État entend reprendre la main sur une population à 70 % rurale, jugée instable, ignorante et potentiellement dangereuse. Il faut remettre l’idéal de l’instruction obligatoire à sa place : il n’est pas indépendant de ce besoin de contrôler, d’encadrer et de pacifier.
Lorsque les lois scolaires sont votées, la France est encore très majoritairement rurale : près de 70 % de la population vit de l’agriculture, souvent dans un analphabétisme tenace. Les paysans, tournés vers leurs pratiques locales, leurs patois, leurs traditions et leurs solidarités villageoises, apparaissent aux yeux des élites républicaines comme une masse « obscurcie », rétive au progrès, incapable de comprendre les lois et vulnérable à l’influence du clergé.
L’école républicaine se fixe alors une mission claire : transformer ces populations rurales en citoyens conformes aux normes élaborées par le pouvoir central. Cela passe par plusieurs chantiers simultanés :
lutter contre l’obscurantisme religieux, perçu comme l’obstacle principal à la modernité ;
enseigner la Loi, afin de faire émerger des sujets capables d’obéir en connaissance de cause ;
inculquer les valeurs républicaines à travers un catéchisme civique.
L’école devient ainsi une fabrique de citoyenneté autant qu’un instrument de pacification politique. Elle ne se limite pas à enseigner : elle veut socialiser, à sa façon. Elle normalise et façonne, selon ses besoins.
L’un des aspects les plus révélateurs de cette entreprise est la politique linguistique. À la fin du XIXᵉ siècle, seule une minorité de Français parle le français comme langue principale. Les enfants s’expriment en breton, basque, alsacien, occitan, corse, arpitan… Ces langues vivent, vibrent, transmettent des cultures, mais elles échappent au contrôle de l’État. L’école républicaine entreprend donc de les effacer.
La langue française, si elle est nécessaire au regard de l’unité nationale,nation, s’impose hélas par des méthodes souvent brutales : punitions, « symboles de honte », surveillance constante. Ce processus de francisation forcée n’est rien d’autre qu’une colonisation interne. Il faut attendre 2021 pour que la loi Molac soit adoptée qui entrouvre la voie à une généralisation de l’enseignement des langues regionales dans le public.
Cette colonisation s’accompagne à l’école d’un récit national construit, unifié artificiellement, nettoyé de ses ambiguïtés. Il glorifie des héros, construit une continuité mythique entre Gaulois, Capétiens, Révolutionnaires et Républicains. La Marseillaise, hymne raciste, guerrier et belliqueux, devient obligatoire : l’élève doit apprendre à aimer la nation avant même de la comprendre, on lui rabâche que des hommes ont un sang impur.
Ces outils — langue, histoire, rituels patriotiques — ne sont pas neutres. Ils façonnent, moulent un imaginaire collectif conforme aux besoins de la République naissante. Ils homogénéisent un pays et tente l’effacement de cultures entières.
Derrière ces enjeux politiques se profile un objectif plus discret : répondre aux besoins de l’industrialisation. Les usines exigent désormais une main-d’œuvre capable de lire les instructions, de manier les outils, de suivre des procédures. L’école n’est pas seulement un projet philosophique : c’est un programme économique. La main d’oeuvre se spécialise et on laisse la pelle et la pioche aux immigrés. Il serait temps d’ailleurs que nos fachos de service parlent français, un émigré est une personne qui quitte son pays alors que celle qui rentre dans un pays est un immigré.
Il ne s’agit pas de former des esprits libres, mais des travailleurs disciplinés. L’école transmet les savoirs élémentaires nécessaires au monde du travail tout en instillant une morale de l’effort, de la ponctualité et de la soumission à la règle.
Aujourd’hui encore, la logique d’orientation, la hiérarchisation des filières et l’organisation bureaucratique culminent dans des dispositifs comme Parcoursup, dont la fonction de tri’ parfois brutal, semble primer sur la vocation d’épanouissement ou de découverte. Parcoursup pour moi signifie tueur de passions.
Faut-il pour autant condamner l’école publique ? Sur le principe non, sur la forme oui, Mais elle abrite aussi des expériences pédagogiques lumineuses, souvent nées à sa marge.
Les travaux de Robert Gloton, centrés sur la coopération, l’expression libre et l’autonomie de l’élève, ont donné naissance à quelques écoles pionnières. Si la plupart ont été étouffées par l’institution, l’école Vitruve, à Paris, perpétue encore cet héritage précieux.
De même, l’expérience menée par Céline Alvarez, inspirée par Maria Montessori et étonnamment soutenue un temps par Jean-Michel Blanquer lorsqu’il était directeur de la DGESCO, a montré ce qu’un environnement pédagogique bien pensé pouvait produire : un enthousiasme réel des enfants, des progrès spectaculaires, un lien retrouvé avec les apprentissages. Mais là encore, l’institution s’est refermée sur elle-même, au point que la jeune enseignante a fini par démissionner. il ressort que de l’avis de nombreux chercheurs, enseignants, philosophes chercheurs, les trois premières années de vie sont primordiales pour la préparation à la vie. Or c’est la partie la plus négligée, la plus difficile pour de nombreux ménages, incapable socialement d’apporter l’attention nécessaire aux petits en devenir. « L’enfant est père de l’homme » (William Wordsworth en 1802, dans « The rainbow » )
Ces exemples témoignent d’un paradoxe profond : l’école publique possède un immense potentiel d’innovation, mais elle se méfie de tout ce qui pourrait mettre en péril sa position, son confort, ses structures, ses routines, ses hiérarchies ou ses maroquins. Elle piétine et n’avance souvent que malgré elle.
L’école républicaine est un édifice complexe, contradictoire, hybride. Elle a émancipé des millions d’individus ; elle a arraché des enfants à l’ignorance, ouvert des horizons, façonné une culture commune. Mais elle l’a fait au prix d’effacements linguistiques, de récits nationaux simplifiés, d’une discipline diffuse et d’une subordination croissante aux impératifs économiques. C’est un terrain de lutte, de débats, de choix politiques. Elle peut fabriquer des citoyens dociles ou des esprits libres, selon ce que la société lui demande.
Il est peut-être temps de sortir du récit sacralisé comme de la critique destructrice, et de reconnaître cette ambivalence fondamentale. L’école ne doit être ni un temple intouchable, ni une machine oppressive.
Entre continuité et invention, conformisme et courage, elle demeure un champ ouvert. C’est à nous, collectivement, d’en choisir l’avenir, d’ouvrir les discussions, dans les communes les plus petites comme dans les grandes villes. Il est temps de chasser Big Brother — et ce ne sera pas simple, si les citoyens restent accrochés à leurs télévisions , à leurs tablettes et ne jugent leurs enfants que par les bons points.
A bas la calotte disait-on, il aurait été nécessaire d’ajouter à bas la carotte.
D’Ginto
PS, j’écris ce texte le jour de la fête des lumieres, et à Lyon, la fête s’est enrichie de quelques slogans qui n’appartiennent pas à ces traditions lumineuses qui ont marqué des générations et s’inscrivent dans le patrimoine chrétien de la France.
Quand j’s’rai grande
j’veux être heureuse,
Savoir dessiner un peu,
Savoir m’servir d’une perceuse,
Savoir allumer un feu,
Jouer peut-être du violoncelle,
Avoir une belle écriture,
Pour écrire des mots rebelles
À faire tomber tous les murs !
Si l’école permet pas ça
Alors j’dis « Halte à tout ! »
Explique-moi, Papa
C’est quand qu’on va où ?
Tu dis que si les élections
Ça changeait vraiment la vie,
Y’a un bout d’temps, mon colon,
Qu’voter ça s’rait interdit !
Ben si l’école ça rendait
Les hommes libres et égaux,
L’gouvernement décid’rait
Qu’c’est pas bon pour les marmots !
Si tu penses un peu comme moi
Alors dis « Halte à tout ! »
Et maintenant, Papa
C’est quand qu’on va où ?
….