Bernard S, a posté un commentaire à mon article repris ICI.
Cet article mérite mieux qu’un commentaire et je le publie. Je rappelle que mon blog est ouvert et qu’il vous suffit de m’envoyer sur mon mail jeanluclevecque@gmail.com votre article, les commentaires, c’est sympa, mais pour les réactions rapides.
Orly Noy, citoyenne israélienne née en 1973 en Iran, certainement classée comme antisémite puisqu’elle est engagée dans un combat pour l’égalité de droits entre Israéliens et Palestiniens, elle est également présidente du centre de défense des droits humains dans les territoires occupés. Va-t-elle jusqu’à combattre pour la libération des territoires « occupés« ça je ne sais pas?
« La plus grande menace pour Israël n’est pas l’Iran ou le Hamas, mais sa propre hubris »
Par Orly Noy
16 juin 2025. A l’Encontre
Cela fait plus de 46 ans que j’ai quitté l’Iran avec ma famille à l’âge de neuf ans. J’ai passé la majeure partie de ma vie en Israël, où nous avons fondé une famille et élevé nos filles, mais l’Iran n’a jamais cessé d’être ma patrie. Depuis octobre 2023, j’ai vu d’innombrables images d’hommes, de femmes et d’enfants debout à côté des ruines de leurs maisons [à Gaza], et leurs cris sont gravés dans ma mémoire. Mais quand je vois les images de l’Iran après les attaques israéliennes et que j’entends les cris en persan, ma langue maternelle, le sentiment d’effondrement en moi est différent. L’idée que cette destruction est le fait du pays dont je suis citoyenne est insupportable.
Au fil des ans, la population israélienne s’est convaincue qu’elle pouvait exister dans cette région tout en nourrissant un profond mépris pour ses voisins – se livrant à des massacres contre quiconque, quand et comme bon lui semble, en s’appuyant uniquement sur la force brute. Depuis près de 80 ans, la « victoire totale » est à portée de main : il suffit de vaincre les Palestiniens, d’éliminer le Hamas, d’écraser le Liban, de détruire les capacités nucléaires de l’Iran [1], et le paradis sera nôtre.
Mais depuis près de 80 ans, ces prétendues « victoires » se sont avérées être des victoires à la Pyrrhus. Chacune d’entre elles enfonce Israël un peu plus dans l’isolement, la menace et la haine. La Nakba de 1948 a créé la crise des réfugiés qui refuse de disparaître et a jeté les bases du régime d’apartheid. La victoire de 1967 a donné naissance à une occupation qui continue d’alimenter la résistance palestinienne. La guerre d’octobre 2023 a basculé en un génocide qui a fait d’Israël un paria mondial.
L’armée israélienne, qui est au cœur de tout ce processus, est devenue une arme de destruction massive aveugle. Elle maintient son statut vénéré auprès d’une population anesthésiée grâce à des coups d’éclat : des pagers qui explosent dans les poches et des mains des hommes sur un marché libanais, ou une base de drones implantée au cœur d’un Etat ennemi [en Iran]. Et sous le commandement d’un gouvernement génocidaire, elle s’enfonce davantage dans des guerres dont elle ne sait comment sortir.
Pendant tant d’années, sous le charme de cette armée supposée toute-puissante, la société israélienne s’est convaincue qu’elle était à l’épreuve des balles. Le culte total de l’armée, d’un côté, et le mépris arrogant des voisins régionaux, de l’autre, ont fait naître la conviction que nous n’aurions jamais à en payer le prix. Puis vint le 7 octobre, qui brisa, ne serait-ce qu’un instant, l’illusion de l’immunité. Mais plutôt que de prendre conscience de l’importance de ce moment, les citoyens se sont livrés à une campagne de vengeance. Car seul le massacre pouvait redonner un sens au monde : Israël tue, les Palestiniens meurent. L’ordre est rétabli.
C’est pourquoi les images des bâtiments bombardés [les samedi et dimanche 14-15 juin] à Ramat Gan, Rishon LeZion, Bat Yam, Tel Aviv et Tamra (une ville arabe de Galilée, près de Haifa) étaient si choquantes. Elles ressemblaient de manière troublante à celles que nous avons l’habitude de voir à Gaza : des squelettes de béton calcinés, des nuages de poussière, des rues ensevelies sous les décombres et les cendres, des jouets d’enfants serrés dans les bras des secouristes. Ces images ont brièvement brisé notre illusion collective selon laquelle nous sommes immunisés contre tout. Les victimes civiles des deux côtés – 13 Israéliens et au moins 128 Iraniens [le 15 juin] – soulignent le coût humain de ce nouveau front, même si l’ampleur reste loin de la dévastation infligée régulièrement à Gaza.
L’armée comme doctrine
Il fut un temps où certains dirigeants juifs en Israël comprenaient que notre existence dans cette région ne pouvait se fonder sur l’illusion d’une immunité totale. Ils n’étaient peut-être pas exempts d’un sentiment de supériorité, mais ils saisissaient cette vérité fondamentale. Le défunt député de gauche Yossi Sarid [2] a un jour rappelé que Yitzhak Rabin[assassiné le 4 novembre 1995 par un juif extrémiste religieux] lui avait dit : «Une nation qui montre ses muscles pendant cinquante ans finit par s’épuiser.» Rabin avait compris que vivre éternellement par l’épée, contrairement à la promesse effrayante de Netanyahou (le 27 octobre 2015), n’était pas une option viable.
Aujourd’hui, il n’y a plus de politiciens juifs de cette trempe en Israël. Lorsque la gauche sioniste se réjouit d’une attaque risquée contre l’Iran, elle révèle son attachement obstiné à l’illusion que, quoi que nous fassions, quelle que soit la profondeur de notre aliénation vis-à-vis de la région dans laquelle nous vivons, l’armée nous protégera toujours.
«Un peuple fort, une armée déterminée et un front intérieur résilient. C’est ainsi que nous avons toujours gagné, et c’est ainsi que nous gagnerons aujourd’hui», a écrit Yair Golan, chef du Parti démocrate – une fusion des partis sionistes de gauche Meretz et Travailliste – dans un message publié sur X après l’attaque du vendredi 13 juin. Sa collègue du parti, la députée Naama Lazimi, a renchéri en remerciant «les systèmes de renseignement avancés et la supériorité du renseignement. L’armée israélienne et tous les systèmes de sécurité. Les pilotes héroïques et l’armée de l’air. Les systèmes de défense d’Israël.»
En ce sens, le fantasme d’une immunité accordée par l’armée est encore plus profond dans la gauche sioniste que dans la droite. La réponse de la droite à son anxiété sécuritaire est l’anéantissement et le nettoyage ethnique – c’est son objectif final. Mais le centre gauche place sa confiance presque entièrement dans les capacités supposées illimitées de l’armée. Il ne fait aucun doute que le centre gauche juif en Israël vénère l’armée avec plus de ferveur que la droite, qui la considère simplement comme un outil pour mettre en œuvre sa vision de destruction et de nettoyage ethnique.
Nous, Israéliens, devons comprendre que nous ne sommes pas immunisés. Un peuple dont l’existence dépend uniquement de la puissance militaire est voué à finir dans les recoins les plus sombres de la destruction et, à terme, dans la défaite. Si nous n’avons pas tiré cette leçon fondamentale des deux dernières années, sans parler des quatre-vingts dernières, alors nous sommes vraiment perdus. Non pas à cause du programme nucléaire iranien ou de la résistance palestinienne, mais à cause de l’hubris aveugle et arrogante qui s’est emparée de toute une nation.
(Article publié sur le site +972 le 15 juin 2025; une version de cet article a été publiée en hébreu sur Local Call. Traduction rédaction A l’Encontre)
«Orly Noy est rédactrice à Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose persanes. Elle est présidente du conseil d’administration de B’Tselem et militante du parti politique Balad. Ses écrits traitent des lignes qui se croisent et définissent son identité en tant que Mizrahi, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant au sein d’une communauté d’immigrants permanents, et du dialogue constant entre ces différentes identités.»