Pierre-Jean de Béranger, chansonnier adoré du peuple, éteint ses lumières en 1857. À ses obsèques, un jeune gratte-papier du ministère des Finances découvre un phénomène stupéfiant : les hommages se chuchotent sur des minuscules feuillets manuscrits, passés de main en main comme des reliques révolutionnaires — faute de pouvoir acheter les œuvres imprimées, hors de prix pour le commun des mortels.
Ce sont des copies manuscrites maladroitement des pamphlets de Béranger.
Le gratte-papier, ému, scandalisé, inspiré, se dit alors, comme Jeff Bezos à ses débuts : « Et si on cessait de réserver la culture aux rentiers et aux héritiers ? »
Il se nomme Arthème Fayard, et son idée va bouleverser l’édition : rendre le livre accessible, populaire, républicain, bref… vivant.
On connaît la suite : Arthème fonde un empire pour offrir au plus grand nombre ce que d’autres vendent au prix du caviar. Un projet noble. Un projet social. Un projet qu’il faut aujourd’hui protéger…
Protéger? Oui car voilà que, génération après génération, l’univers Fayard finit dans l’escarcelle du groupe Bolloré — machine à recycler le patrimoine intellectuel français pour l’injecter directement dans les veines d’une droite dure qui ne rêvait que d’un cheval de Troie éditorial.
Arthème Fayard, lui, doit désormais tourner à 1 200 tours par minute : de l’édition populaire pour instruire le peuple, on est passé à l’édition populiste pour l’abrutir.Il faut bien sûr mentionner l’extrème indulgence des médias de masses, partenaires indispensables pour endormir la population.
Puis arrive Lisa Boëll, directrice météore, qui laisse derrière elle la même traînée incandescente à chacun de ses passages : départs, crispations, crises internes. TF1, Albin Michel, Plon, Mazarine… Et enfin Fayard, où elle parachève l’œuvre : publication en rafale de figures et penseurs gravitant autour des sphères de l’extrême droite ou de ses satellites extérieurs.
Elle édite, entre autres :
- Jordan Bardella, qui se cherche dans un livre, puis cherche ce que veulent les Français, puis cherchera sans doute un jour ce que veulent les Français de 1933.
- Philippe de Villiers, jamais avare d’un pamphlet patrio-apocalyptique.
- Nicolas Sarkozy, Son livre Le Temps des combats figure parmi les « livres politiques les plus vendus.
- Sonia Mabrouk, qui dirige désormais une collection, pour que rien ne manque dans l’écosystème idéologique.
- Alain de Benoist, l’intellectuel préféré des droites radicales.
- Et bientôt Éric Zemmour, parce qu’un éditeur dominé par Bolloré sans Zemmour, c’est comme un bal des vampires sans Dracula.
Mais le clou, le summum, l’injure finale c’est l’édition du dernier, apellons le, livre de Sarkozy— Oui, Sarkozy, le Lucky Luke de l’écriture, qu’il manie plus vite que son ombre, Lisa l’éditrice la plus rapide du monde.
C’est le moment exact où la décence s’immole et où le bon goût se défenestre.
Mais ou le fric est pas loin, faut bien payer les amendes quand même!
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L’homme qui connaît mieux l’intérieur d’un box de tribunal que celui d’un parloir.
L’homme qui a probablement passé plus de temps à discuter avec ses avocats qu’avec les juges devant lesquels il est « présumé innocent » par abonnement. Oui cet homme là ose.
On pense alors aux prisonniers, entassés à cinq dans une cellule prévue pour quatre, dont un dormant sur un matelas posé au sol, respirant l’air confiné de 2,8 m² par personne, parfois 0,94 m², mobilier décompté.(rapport 2024 du CGLPL)
0,94 m² : une surface qui ferait hurler un éleveur de poules qui lui n’a droit qu’à 550 cm².
Surface qui, selon certains discours sécuritaires, serait presque idéale pour « faire réfléchir les délinquants».
On imagine leur tête en voyant Sarkozy publier son petit chef-d’œuvre d’autojustification. On imagine la rage muette de ceux dont la « cellule individuelle » fait moins que le placard où l’ex-président rangeait ses chaussettes, encore marquées par le bracelet électronique.
Et l’on se dit : si Sarkozy retourne un jour en prison — entre deux affaires où il est, bien sûr, présumé innocent, comme toute une partie de sa famille politique — il faudra construire une prison spéciale, haute sécurité, blindée contre les commentaires ironiques, équipée d’une aile de luxe :
garde du corps intégré, parloirs illimités, cellule privatisée, cantine gastronomique, et visite du ministre de la Justice en option.
Pendant ce temps,y a de la rumba dans LR À Saint-Étienne ou ailleurs, les « présumés innocents » s’accumulent comme les factures d’honoraires chez Dupond-Moretti.
Mais qu’importe :
la maison Fayard, jadis temple de la culture populaire, est devenue la boutique chic de la droite en déroute.
Arthème Fayard, lui, regarde tout cela depuis son cercueil.
Et l’on se dit qu’il doit vraiment, mais alors vraiment,
en avoir plein les pages.
Boycottons Fayard.
D’Ginto.